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Aucun domaine de la culture savante occidentale n’a sans doute été plus dépendant des traductions de textes arabes que la médecine. Celle-ci stagnait à un niveau extrêmement bas en Occident, alors que dans le monde arabo-musulman son essor fut très rapide. La médecine démarre vraiment au VIIIe siècle, soutenue par la politique scientifique et culturelle des califes abassides. Un énorme effort de traduction fut réalisé, comme le symbolise l’œuvre du médecin chrétien Hunain ibn Ishâq (808-877). Ce dernier traduisit avec ses collaborateurs, sans doute musulmans, juifs et chrétiens, près de 200 textes grecs qu’il compléta par une Introduction à la médecine, qui demeura le manuel de base où les étudiants trouvaient les fondements de l’œuvre écrite au IIe siècle par Galien et de nombreuses indications pratiques et thérapeutiques.
La construction d'hôpitaux à Bagdad, Le Caire, Damas, Samarkand… (dont le premier a été fondé à Bagdad par le calife Hârûn al-Rashîd), contrôlés par un maître, fournit aux apprentis médecins un cadre privilégié pour observer les malades et permettre la diffusion des principes d'hygiène: asepsie et isolation des contagieux, ainsi qu'une abondante pharmacopée: plantes, drogues animales, extraits minéraux entrant dans la composition des emplâtres, onguents, cataplasmes, cachets.
C’est surtout à Salerne au XIe siècle, que la médecine arabe va être introduite en Occident. Les traductions vont être employées dans l’enseignement et dans la pratique de la médecine. Ces ouvrages ont un succès immédiat à l’école de Salerne où l’on enseigne la médecine depuis le Xe siècle mais à partir d’un savoir encore désarticulé. L’introduction du célèbre Canon, ouvrage du grand savant Avicenne (Ibn-Sina, 980-1073), écrit par son auteur en arabe puis traduit en latin au XIIe siècle par Gérard de Crémone, est un exemple frappant de l’influence et de l’incorporation de la pensée arabe en Occident. Le Canon d'Avicenne, cette monumentale encyclopédie, présente et classe près de 800 remèdes et le vocabulaire conserve les traces de cette inventivité chimique et pharmacologique, ou des termes arabes passés dans toutes les langues : alambic, alcool, benjoin, benzène, élixir, soude, talc, ambre, safran, santal, séné… Le Canon d'Avicenne fut traduit puis publié en Europe en 1473, pour la première fois.
Désormais, la médecine s’inscrivait dans la classification aristotélicienne des sciences, elle devenait une branche de la physique, se subdivisant en théorie et pratique, toutes deux fondées sur la réflexion et le raisonnement. Les Occidentaux vont donc bénéficier des théories stables mises en place par les Arabes et en conformité avec les écrits du médecin de Pergame, le célèbre Galien.
La santé était définie comme un équilibre entre les qualités qui caractérisent le «tempérament d’un individu» et chacune des parties de son corps. Un déséquilibre de ces tempéraments, la surabondance ou la corruption de l’une des quatre humeurs que sont le sang, la bile, le phlegme et la mélancolie, entraînent la maladie. Les traitements consistent à rétablir la pondération initiale par la prescription de remèdes et d'une alimentation choisis. Cette théorie dite des «quatre humeurs» s’installe durablement en Occident, éloignant de manière décisive toute interprétation exclusivement religieuse de la maladie. Les docteurs arabes développent ces savoirs en s'appuyant sur une conception logique des affections et une approche méthodique. Ainsi, ils inventorient et décrivent les symptômes, ils améliorent l'art du diagnostic et la pratique clinique.
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