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Il est difficile de séparer l’apport de la philosophie grecque des commentaires apportés par les philosophes arabes. C’est donc à travers l’œuvre des philosophes arabes les plus connus en Occident que l’on peut comprendre l’apport décisif de l’héritage grec dans la philosophie médiévale occidentale, bien entendu adapté et transformé par les auteurs de langue arabe avant d’être transmis aux Latins.
Il faut envisager que les corpus grecs sont lus et traduits au VIIIe siècle par les philosophes islamiques dans le cadre d’une réflexion sur des problèmes philosophiques actuels. Ce n’est pas une absorption passive du legs grec mais une utilisation active de tel ou tel aspect que l’on décide en fonction de problèmes théologiques. Une caractéristique est commune à tous les philosophes: la volonté de concilier héritage philosophique grec et révélation islamique. Cette tentative d’accorder philosophie et foi explique aussi le succès de sa diffusion en Occident aux XIIe –XIIIe siècles. Les Latins comprirent tout l’intérêt de fortifier leurs connaissances par un choix de traductions d’ouvrages de penseurs de l’Islam qui leur permettraient de servir la cause du christianisme.
Quelques philosophes du monde islamique connurent une renommée particulière en Occident:
Al-Kindi (800-870), d’origine irakienne, que l’on considère comme le fondateur de la philosophie (falsafa) musulmane. Proche des califes, il participa au grand mouvement de traduction. Dans le domaine philosophique, il introduit Aristote et le mode de pensée rationaliste dans le monde musulman. Il cherchera surtout à établir la distinction entre une science humaine, que l’on acquiert grâce à la raison et une science divine transmise par les prophètes, tout en affirmant que les deux modèles de connaissance restent en harmonie. Fondateur d’un certain rationalisme musulman, traduit en latin dès le XIIe siècle, il introduit également Aristote dans la pensée chrétienne.
Al Razi (mort en 925): malgré le fait que pour la plupart des penseurs musulmans, l'Islam est à la base de la falsafa (philosophie dans l'Islam), la position de Al Razi est radicale — il rejette en bloc les religions révélées et les miracles. Son athéisme préfère une conception progressiste de la connaissance: les savoirs sont provisoires et perfectibles.
Avicenne/Ibn Sina (987-1037), connu pour ses traités de médecine, est considéré comme le plus grand philosophe du monde islamique oriental. Ces ouvrages philosophiques expriment une pensée très dépendante d’Aristote, influencée aussi par des théories néoplatoniciennes. Ses ouvrages traduits en latin furent introduits dans les bibliothèques occidentales dès le premier tiers du XIIIe siècle. Un ensemble de manuscrits furent en effet légués en 1272 à la Sorbonne où ils furent sans doute lus par des générations d’étudiants en théologie.
Averroès/Ibn Rushd (1126-1198), est un philosophe de l’Islam andalou, dont la renommée fut immense en Occident alors que sa pensée fut moins influente dans le monde islamique. Son œuvre philosophique consiste en une restauration dans son intégralité de la pensée d’Aristote. Il a commenté tout Aristote. C’est à travers l’œuvre d’Averroès que les Latins installèrent Aristote de manière décisive dans la pensée chrétienne. La doctrine aristotélicienne modifiée par le philosophe arabe qui lui sert d’introducteur, pénètre au XIIIe siècle dans les universités chrétiennes qui viennent de naître dans tout l’Occident. Certaines théories furent pourtant la cible de théologiens qui les jugèrent contraires aux dogmes chrétiens et l’opposition fut parfois vive. C’est un rude coup porté à cette interprétation de la philosophie d’Aristote mais qui ne disparaîtra jamais complètement puisque de nombreuses universités continuèrent à perpétuer ce que l’on a nommé l’averroïsme latin.
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